Ceci est la quatrième chronique d’une série visant à étudier la Constitution citoyenne du Québec, produite par le mouvement « Constituons ! » et publiée le 29 mai 2019 sur le site de l’Institut du Nouveau Monde :
Nous allons examiner les articles 5, 10, 18, 19 et 21, traitant de l'environnement et contenus dans le premier chapitre intitulé Des droits et devoirs fondamentaux.
Voici le libellé de ces articles :
5. Toute personne a le devoir d’implanter un processus de développement durable pour assurer la protection et la pérennité des ressources naturelles.
10. Chaque personne a droit à un environnement sain, sécuritaire et suffisant, incluant, notamment, de l’eau potable, des éléments naturels et tous les écosystèmes qui entretiennent la vie et la solidarité entre les générations.
18. Chaque personne a droit à une nourriture saine, suffisante et de qualité, notamment sans organismes génétiquement modifiés (OGM) et éléments toxiques.
19. Chaque personne a le droit de produire sa propre subsistance alimentaire dans le respect des ressources naturelles et des écosystèmes existants.
21. L’environnement doit être protégé par les citoyens et citoyennes ainsi que par les personnes en visite sur le territoire. Chacun est responsable des dommages causés à l’environnement.
Analyse :
Il est bizarre que les citoyens constituants aient choisi, à l'article 5, d'interpeller "toute personne" pour "implanter un processus de développement durable".
Car l'implantation d'un tel processus ne relève pas de personnes désorganisées et prises individuellement.
Elle relève plutôt des différentes composantes d'un État correctement institué.
La constitution et les lois organiques d’un État fonctionnel prévoient les missions respectives que doivent accomplir les pouvoirs législatif, administratif, exécutif et judiciaire pour actualiser ce "développement durable" dans le respect des engagements internationaux.
Mais le problème que nous avons ici - et les constituants l’ont peut-être observé - c’est que deux États, ou plutôt deux "demi-États", nous encadrent chaotiquement.
C'est le monarque conquérant qui, notamment avec l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, nous a légué cet héritage perturbateur lorsqu'il a voulu forcer notre loyauté en même temps que de mieux camoufler nos chaînes.
Si les constituants de 2019 ont requis que les citoyens implantent eux-mêmes un processus de développement durable plutôt que d'octroyer cette responsabilité à l’un et l’autre de nos demi-États, c’est probablement parce qu’ils ont voulu que nous ne nous esquivions plus de nos responsabilités environnementales prévues dans plus de 500 traités internationaux.[1]
Les constituants ont probablement voulu éviter que nous ayons seulement une "obligation de moyens" à l'égard des traités, comme cela est étrangement toléré pour les fédérations du Commonwealth.
Ils ont probablement voulu que nous ayons plutôt une "responsabilité de résultats", comme les républiques bien organisées s'y engagent.
Ce résumé d’une étude permet d’entrevoir les différences qu’il y a lorsque des engagements internationaux sont conclus par un État dualiste fédéral comme le Canada (dont l’organisation interne a été normalisée par l’Empire anglais dans le cadre d’un dominion) et ceux honorés par les États monistes républicains.
La conclusion d’un traité international est une chose, et son respect en est une autre.
Lorsqu’un traité porte, même partiellement, sur des domaines de la compétence législative des provinces, le traité signé par le gouvernement du Canada comporte habituellement une clause dite « fédérale ».
Cette "clause fédérale" a pour effet d’informer les parties au traité que le gouvernement du Canada aura peut-être certaines difficultés à le mettre en œuvre parce qu’il lui faudra obtenir la collaboration des provinces pour ce faire.
En introduisant une telle clause dans les traités qu’il conclut, le Canada limite captieusement sa responsabilité.
L’effet de la "clause fédérale" est ambigu : d’une part, on peut prétendre qu’il s’agit d’une obligation « de moyens » et d’autre part d’une obligation « de résultat ».
Il faut comprendre qu’il y a une différence énorme entre ces deux types d’obligations. [2]
L’article dix, qu’ont prévu les citoyens constituants pour protéger l’environnement est un peu plus détaillé que ce qui traite de ce sujet dans notre présente Charte des droits et libertés.
46.1 - Charte des droits et libertés de la personne du Québec
Toute personne a droit, dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité.
Cependant, il s’agit d’un article encore insuffisant pour assurer notre protection effective puisqu’il ne prévoit pas comment sera organisé notre État (ou « nos États » dans l'éventualité où une confédération serait encore impliquée) pour s’acquitter de toutes les responsabilités.
Les tribunaux pourraient toujours en ces circonstances déclarer qu'il s’agit d’un article essentiellement « symbolique ». [3]
Il est en quelque sorte louable que les constituants aient pensé à inclure à l'article 18 le "droit de chaque personne à une nourriture saine, suffisante et de qualité", car ils démontrent avoir pris en considération le fait que certains de nos concitoyens en sont parfois privés.
Mais un problème survient en ce qui concerne l’effectivité de ce droit puisqu'aucun moyen concret n’est simultanément prévu pour le faire honorer.
Nous devons aussi nous questionner à savoir s’il est souhaitable que nous allions aussi loin dans le détail et l'aide directe que de prévoir l’accès à des soupes populaires « sans OGM et sans éléments toxiques » dans la Constitution !
L’article 19 est étonnant lui aussi puisqu’il semble requérir de garantir constitutionnellement un "droit au jardinage".
Cette revendication pourrait être présentée au législateur pour demander du financement public afin de réaliser un "projet-pilote" encadré par une loi ordinaire, mais elle ne devrait pas apparaître dans une charte constitutionnelle à la place d’autres éléments y ayant réellement leur place du fait qu’ils servent à bien structurer l'État.
L’article 21, qui somme les citoyens et les visiteurs de protéger l’environnement et qui les rend responsables des dommages qu’ils pourraient y causer, ne précise pas suffisamment les comportements attendus, les sanctions à craindre et la manière dont elles seront appliquées.
Or, la seule menace de sanction ainsi formulée n’amènera pas les personnes à comprendre ce qui est attendu d'elles ni à se conformer aux comportements "espérés".
Il s’agit donc un article inutile et inutilement terrifiant qui devait être repensé...
[1] Un Rapport de la commissaire à l'environnement et au développement durable d’octobre 2004 évalue qu’il y avait déjà à cette époque plus de 500 traités auxquels devaient répondre le Canada et le Québec en matière d’environnement et de développement durable.
[2] Daniel Dupras, 3 avril 2000, Les traités internationaux : la pratique canadienne.
[3] Pour approfondir davantage cette question, voir ce qu'en dit l'article suivant: David Robitaille, 16 décembre 2005, Le Devoir, Le doit à l’environnement sain dans la charte québécoise : l’imposture.
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